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La métropole canadienne ne fait aucun effort pour rencontrer ses obligations linguistiques
(Extrait de la transcription de la décision du 11 décembre 2001 de la juge de paix Alice Napier dans l'affaire La Reine c. Martine Charest. La ville de Toronto a porté, sans succès, cette décision en appel. L'avocat de l'accusé était Maître Luc Leclair.)
…La requérante a demandé au tribunal la suspension des procédures conformément à l'article 24 (1) de la Charte pour motif qu'une dénonciation qui a été rédigée en anglais dans le cadre d'un procès en français est une nullité. Conséquemment, la requérante soumet que son droit à l'égalité d'accès à la justice tel que préconisé par l'article 16 de la Charte a été violé.
La question est de savoir si l'article 16 de la Charte s'applique au contexte d'un procès relatif à des procédures intentées par une ville et qui est déclenché en vertu de la partie III de la Loi sur les infractions provinciales… Selon moi, la question à trancher ici n'est pas de savoir s'il y a une différence entre le droit criminel et les infractions provinciales, mais bien de déterminer l'impact du fait que le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux de l'Ontario.
…Beaulac a écarté l'approche prudente dans l'interprétation des droits linguistiques constitutionnels. La portée de Beaulac est telle que tous les tribunaux se doivent de reprendre et de réévaluer leur façon de considérer les droits linguistiques. J'ajoute qu'il en va de même pour les gouvernements à tous les niveaux. Toute la jurisprudence en matière de droits linguistiques est donc sujette à être revue.
…La question est de savoir si le droit à une dénonciation en français fait partie d'une approche libérale et ouverte tel que préconisée par Beaulac lorsque la Cour est appelée à donner une interprétation des articles 125 et 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Il est approprié ici de se rappeler que l'article 125 est celui qui déclare que le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux de l'Ontario, alors que l'article 126 détermine les modalités des instances bilingues.
…Je voudrais aussi ajouter qu' en vertu du règlement 53/01 adopté en juin 2001 en application de la Loi sur les tribunaux judiciaires, le seul fait de demander en temps opportun un procès en français, déclenche le processus du procès en français. Je suis d'avis qu'en vertu de cette même requête, la dénonciation devrait être en français et puis ceci va de soi: ça va de soi. Mentionnons que le règlement 53/01 a comme résultat d'améliorer l'accès à la justice en langue française en prévoyant entre autre que le poursuivant municipal devrait dorénavant être bilingue s'il veut avoir quelques chances de survivre lors d'un procès en français. Un des aspects le plus fondamental de notre système de justice, c'est qu'un accusé, un défendeur a le droit de connaître et de comprendre les accusations qui pèsent contre lui.
…Ceci est vrai, que la dénonciation soit criminelle ou qu'elle soit quasi-criminelle, qu'elle découle d'une infraction statutaire ou d'un règlement municipal; c'est ça la dénonciation, c'est le premier pas. Qu'elle comporte quatre mots, comme c'est ici le cas, quatre mots, ou 10, 20 ou 30 paragraphes.
…Il est malheureux de constater qu'une ville comme la ville de Toronto, et ça, ce n'est pas exactement un village perdu au fond des bois, une ville, une capitale d'une province qui compte plus d'un demi million de francophones, ne fasse aucun effort pour interpréter ses obligations en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires d'une façon plus généreuse à l'égard de ses citoyens de la minorité de langue officielle et d'une façon qui respecte le principe de protection des minorités tel qu'énoncé par la Cour d'appel dans la décision de l'Hôpital Montfort.
…La ville donne malheureusement l'impression d'attendre en tout et partout les mesures coercitives. Et tant qu'elle n'y est pas absolument forcée par une loi ou par un règlement, la ville ne fait aucun effort pour rencontrer ses obligations linguistiques. Le plus bel exemple de ceci, c'est que si nous avons aujourd'hui le grand plaisir et le bonheur d'avoir un procureur bilingue, en votre présence Madame Cassano, c'est seulement depuis l'adoption du règlement 53/01 en juin dernier.
…La Cour d'appel note d'ailleurs au paragraphe 137 de sa décision que la règle d'interprétation exprimée et énoncée par Beaulac s'applique autant aux droits linguistiques conférés par une loi ordinaire que par une garantie constitutionelle: je répète, par une loi ordinaire.
Je crois qu'en me laissant guider par ces principes, mon devoir est donc d'interpréter l'article 126 (5) d'une façon qui soit compatible avec le statut de langue officielle conféré au français devant les tribunaux de l'Ontario, et aux aspirations du paragraphe 16 (3) de la Charte, et au principe du respect de la protection des droits des minorités francophones.
Dès lors, je déclare que les principes énoncés par l'honorable juge Khawly dans Warsama s'appliquent aussi à une procédure intentée en vertu de la partie III de la Loi sur les infractions provinciales. L'article 126 (5) de la Loi sur les tribunaux judiciaires confirme la validité de l'acte de procédure rédigé en français sans pour autant donner à la poursuite l'option de faire à sa guise. C'est du moins comme cela que ce tribunal interprète l'usage des mots « peut être » dans l'article 126 (5).
Je me vois donc dans l'obligation d'accéder à la requête de Madame Charest. Je rejette la position de la ville qui soumet que Beaulac doit être interprétée de façon restrictive et que son seul champ d'application se limite au droit criminel.
Je déclare donc la dénonciation telle que rédigée en anglais est frappée de nullité et conséquemment, je déclare la suspension et l'arrêt des procédures contre la défenderesse conformément à l'article 24 (1) de la Charte.
- Catégorie : Justice, Municipalités
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Modification : 2014-03-08
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