(Ce qui suit est la version condensée et résumée de la communication présentée au colloque de l'Université d'Ottawa sur le Règlement XVII par le professeur Pierre Foucher. Un texte original, comportant les citations et références appropriées, sera publié dans les actes du colloque).
Lors des négociations constitutionnelles de 1864 ayant conduit à la rédaction de l'Acte de l'Amérique du nord britannique, il a beaucoup été question d'éducation… religieuse. En effet, protestants et catholiques ne s'entendaient pas sur la philosophie de l'éducation et chacun voulait développer son propre réseau qu'il financerait, étant exempté de taxes pour supporter l'autre. Un tel compromis avait été conclu en 1861 dans le Bas-Canada et en 1863 dans le Haut-Canada (par la Loi sur les écoles séparées, dite « loi Scott »). Le projet de constitution visait donc à pérenniser les droits reconnus par la loi au moment de l'entrée d'une province dans la fédération, avec possibilité d'y ajouter, interdiction de les affecter de manière négative, et appel au gouvernement fédéral, qui pourrait déboucher sur l'adoption d'une loi réparatrice fédérale.
Or, trois crises scolaires ont marqué l'histoire du jeune Canada et mis à l'épreuve cette garantie constitutionnelle. Chaque fois, les tribunaux ont été sollicités et chaque fois, ils ont failli à la tâche de protéger les droits des minorités.
La première crise est survenue au Nouveau-Brunswick, lorsque la province a mis en place un réseau scolaire public supporté par une taxe. Les catholiques ont contesté la réforme jusqu'au Comité judiciaire du conseil privé de Londres, plus haut tribunal de l'Empire à l'époque. Ils furent déboutés, puisqu'aucune loi du Nouveau-Brunswick ne reconnaissait les droits des catholiques; la protection constitutionnelle ne s'appliquait pas. La crise dégénéra en émeute à Caraquet en janvier 1875 et s'apaisa par un compromis.
Par la suite, le Manitoba, à son tour, créa un réseau scolaire public supporté par une taxe, en 1891. Il abolissait aussi l'instruction en français. La contestation porta sur l'enjeu fiscal et religieux; le Comité judiciaire estima que les droits des catholiques n'étaient pas atteints de façon négative puisqu'ils pouvaient toujours opérer des écoles confessionnelles privées, comme ils l'avaient fait avant la confédération. La crise, cette fois, fut politique : incapable d'adopter une loi réparatrice, le gouvernement fédéral dut démissionner et l'élection de 1896 porta surtout sur la crise scolaire manitobaine. Laurier, nouvellement élu, établit un compromis qui, outre sa dimension religieuse, prévoyait un enseignement bilingue anglais-français; c'était la première fois qu'on reconnaissait une différence entre langue et foi.
L'épisode du règlement XVII marque cependant la première poursuite judiciaire dont l'enjeu est strictement linguistique. Tous les tribunaux, sans exception, étudiant la loi Scott de 1863 (qui, rappelons-le, représente le point de référence en Ontario), conclurent que ce que protégeait la Constitution, ce sont des droits religieux seulement. Tout autre aspect de l'éducation, incluant la langue, relevait du pouvoir législatif provincial. La Cour d'appel de l'Ontario argua même que la langue de l'empire était l'anglais! La voie était ouverte pour bannir le français des écoles. Les juges auraient pu trancher autrement; mais outre leur protestantisme, dont on ne peut savoir s'il a pesé dans la balance de la justice, il faut dire que leur culture juridique anglo-saxonne n'était pas ouverte aux droits des minorités. La common law de l'époque favorisait la souveraineté du Parlement, fédéral ou provincial; les droits fondamentaux étaient des exceptions qu'il fallait interpréter littéralement et restrictivement.
Cette défaite judiciaire eut cependant un heureux héritage. La Commission Laurendeau-Dunton recommandait dans son premier rapport, en 1967, que soit établie une obligation constitutionnelle de créer des écoles de la minorité linguistique dans les districts bilingues. Le troisième rapport, consacré à l'éducation, paru en 1968, fait une large place à l'épisode du Règlement XVII et des tolérances et bricolages ayant suivi son abrogation, pour souhaiter une amélioration des conditions de l'instruction en langue minoritaire. Les associations francophones qui revendiquaient la gestion scolaire se référaient à ce « trou » dans la Constitution pour justifier sa reconnaissance juridique.
Les décisions judiciaires de la fin du 20e siècle ont donné en exemple les commissions scolaires séparées pour montrer comment un conseil scolaire homogène peut vraiment aider une minorité, d'où la nécessité d'en reconnaître la protection implicite dans la Charte canadienne à son article 23. De plus, si les provinces étaient libres de restreindre la langue d'enseignement dans les écoles séparées, elles pouvaient aussi l'imposer; et ce que peut la province, la Constitution le peut aussi. Donc, les conseils séparés qui s'objectaient à ce qu'on leur impose l'instruction en français avaient tort en droit.
Bref, si les catholiques avaient gagné le procès du Règlement XVII en 1916, on aurait peut-être des écoles de langue française seulement dans les réseaux séparés; les arguments pour obtenir l'article 23 auraient été moins pertinents; et cela n'aurait pas conduit aux avancées que la jurisprudence du 21e siècle continue de nous donner. Des droits scolaires plus forts et mieux protégés, voilà l'héritage indirect mais réel du Règlement XVII devant la justice.
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