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Regard historique sur la progression vers l'égalité du statut du français et de l'anglais au sein du Barreau du Nouveau-Brunswick

Notes de l'honorable Michel Bastarache, pour une présentation lors du colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique, Université d'Ottawa, 25 mai 2012

On m'a demandé de vous parler de l'expérience du Nouveau-Brunswick relativement à l'intégration des deux langues officielles à la pratique du droit. De fait, je vais vous résumer les conclusions d'un comité qui a été formé par le Barreau du Nouveau-Brunswick pour examiner cette question en 1981, et expliquer les difficultés auxquelles il a dû faire face avant de parvenir à un résultat acceptable.

Préface

Pour dire les choses succinctement, je commencerai par dire qu'en 1981 la pratique du droit en français était très limitée. Il n'y avait que 15% des avocats qui étaient francophones et tous avaient étudié le droit en anglais. Il y avait très peu de juges francophones et plusieurs d'entre eux refusaient de procéder en français en raison de leur manque de connaissances du vocabulaire juridique de langue française. Aussi important, les règles de procédure ne prévoyaient pas le procès en français; c'était une disposition d'une autre loi qui donnait au juge la possibilité de tenir une audience en français s'il le jugeait opportun. Avec l'arrivée des premiers diplômés en droit de l'Université de Moncton, il fallait assurément un changement de régime et le gouvernement y était favorable, mais il ne savait pas par où commencer. Il encouragea le Barreau à prendre le dossier et accepta que le sous-ministre de la justice siège au comité qui allait être créé. J'ai co-présidé ce comité avec un avocat bien connu de St. Jean, John Barry, un unilingue dont les deux garçons qui sont devenus avocats ont fait leurs études de droit à Moncton.

Les difficultés à affronter

Il me faut d'abord expliquer le contexte en faisant état des difficultés pratiques :
1. Tous les avocats francophones sont bilingues, moins de 10% des anglophones comprennent le français. Cela signifie que bien des anglophones pensent qu'il faut tout simplement les accommoder pour respecter le droit fondamental de choisir son avocat.
2. Il y a un déséquilibre très important dans la représentation des groupes linguistiques, ce qui fait que dans la très grande majorité des cas où un avocat francophone se présente son adversaire sera unilingue anglais.
3. Les infrastructures institutionnelles sont très largement unilingues; sténographes, registraires, secrétaires, shérifs…
4. Il y a une pénurie de juges bilingues.
5. La notoriété des avocats francophones n'est pas égale à celle des anglophones vu qu'ils sont surtout actifs en région rurale si bien que les affaires d'importance sont presque toujours confiées à des anglophones même par les justiciables francophones.
6. L'étendue des problèmes est telle qu'on se demande s'il faut se limiter faute de ressources personnelles et matérielles : procès criminels, procès civils, tribunaux administratifs, contrats d'adhésion, choix d'avocats par les assureurs, services gouvernementaux, aide juridique, médiation familiale, enregistrement des actes notariés, cours du Barreau, publication des jugements en français …
7. Difficulté d'analyser la compétence linguistique et de fixer des seuils acceptables pour diverses catégories d'intervenants;
8. Disponibilité et coût des services d'interprétation et de traduction.

Le plan de travail

Avant de procéder à des recommandations, il fallait avoir un programme pour la documentation et la consultation. Il a été très étendu. Nous avons consulté tous les membres du système judiciaire dans tous les districts judiciaires; nous avons consulté à Montréal, à la Cour fédérale, à Ottawa et Toronto. Nous avons lu tout ce qui était publié sur la question. Nous avons enfin organisé une longue visite en Europe pour voir comment les juridictions bilingues y fonctionnaient.

Les principes directeurs

Nous avons ensuite voulu nous donner des principes directeurs. Nous savions que les points de vue des francophones et anglophones étaient assez différents notamment parce que nous savions ce qui se disait devant les juges qui étaient appelés à décider s'il était opportun d'autoriser l'usage du français lors d'un procès. Cette première épreuve a été réussie sans trop de difficulté, grâce notamment à l'ouverture d'esprit de Me Barry et du sous-ministre de la justice Gordon Gregory.

En gros, nous avons accepté que nous traitions d'un droit collectif et non individuel, que son objet était non seulement l'égalité formelle mais réelle des communautés linguistiques, que l'objet était la lutte à l'assimilation et la dignité humaine en plus de la justice sociale. Nous avons accepté qu'il y avait un contenu symbolique important à faire valoir vu l'importance de la profession et de sa place dans le système démocratique.
Nous avons rejeté la notion de droits territoriaux en soi mais accepté que les conditions locales exigeraient des aménagements différents.

Nous avons convenu que le Barreau devait faire preuve de leadership et accepter de se transformer de façon fondamentale même si cela allait exiger des sacrifices des unilingues et limiter les possibilités d'emploi pour certains.
Nous avons convenu qu'il faudrait délimiter et définir les droits surtout en modifiant les lois afin de donner un cadre juridique obligatoire afin de limiter les occasions de confrontation relativement à l'exercice de pouvoirs discrétionnaires.
Nous avons convenu que malgré les difficultés il fallait faire des recommandations concernant tous les aspects de la pratique du droit. Nous avons accepté qu'il faudrait un échéancier pour tout réaliser, mais que celui-ci devait être court, précis et immuable.

Le procès civil

Le premier défi était de définir la procédure pour le procès civil.
Le problème de base est de trouver une façon de réconcilier le droit à l'avocat et le droit à un procès dans sa langue, considérant que l'accès égal à la justice requiert que le recours à la traduction et à l'interprétation doivent être limités.
Le comité a proposé un nombre de juges bilingues devant être nommés pour chaque district judiciaire, et un encadrement administratif bilingue partout en province.
Le comité a demandé un amendement législatif prescrivant que le choix de la langue est toujours accepté lorsque le demandeur ou l'intimé (ou accusé dans le cas d'infraction réglementaires) est le gouvernement ou le procureur général.
Le comité a demandé un amendement législatif prescrivant que le justiciable a toujours droit à un juge qui comprenne et parle sa langue sans l'assistance d'un interprète
Le comité a demandé que l'Aide juridique soit fonctionnellement bilingue, de même que les services de médiation.

Dans le cadre d'un procès civil, la nouvelle règle devrait prévoir que la procédure sera dans une seule langue au choix de la partie civile dans tous les cas où c'est possible; cette langue sera aussi celle des motions, audiences préparatoires, jugements, et appels. On ne peut changer de langue que sur demande auprès d'un juge avec motifs sérieux. L'intimé peut s'objecter au choix de langue mais doit démontrer que celui-ci est abusif et poursuit une fin illégitime. Si le choix n'est pas clair, l'intimé sera favorisé parce qu'il se défend. Ceci est la règle en Europe. Le choix de l'avocat n'est pas un critère pris en compte; c'est la langue des justiciables qui est importante. Le témoin dépose dans la langue des procédures à moins qu'il ne la comprenne pas.
L'enregistrement des audiences et les transcriptions sont dans la langue originale; s'il y a traduction, une partie peut en demander la transcription, mais cette version ne sera pas officielle.
L'objectif de limiter les procès bilingues a ses limites. S'il faut employer les 2 langues officielles, le juge sera bilingue mais on essayera d'éviter la traduction consécutive en invitant la partie anglophone à retenir un avocat qui comprend et lit le français même s'il plaidera en anglais. Si cela s'avère impossible, il y aura traduction consécutive aux frais de la province. La traduction de documents sera cependant payée par la partie qui la requiert.
Ces dispositions entreront en vigueur progressivement; entretemps, les facultés de droit sont invitées à favoriser l'apprentissage du français parlé, écrit, et technique.

Le procès criminel

Ici, il y aura une seule langue des procédures, dans toutes les cours criminelles, celle choisie par l'accusé. Le juge sera bilingue tout comme le procureur de la couronne. Les motions et autres actes de procédure seront dans la langue choisie pour le procès. L'appel sera dans la même langue.
Le juge et le procureur de la couronne auront tous deux l'obligation d'informer l'accusé de son droit de choisir la langue des procédures. Le changement de langue n'est possible que sur décision du juge, après avis raisonnable, et pour un motif sérieux.
La question des procès séparés était assez délicate. La règle est qu'on doit les favoriser pour donner préséance au droit d'être jugé dans la langue de son choix. Dans les cas où ce n'est pas possible, on procèdera avec un juge bilingue et la traduction consécutive. Je note en passant que la traduction simultanée a été jugée trop inefficace pour être employée au niveau du procès, mais qu'elle est acceptable en appel.

Les tribunaux administratifs

Le comité a recommandé la nomination de plus de membres pour créer des formations complètement bilingues quand le choix de la langue est le français où que les procédures procèderont dans les 2 langues officielles. Les règles sont celles du procès civil; ici encore, les instances gouvernementales n'ont pas de choix de langue.

Le Barreau

Le comité a demandé que le Barreau se déclare institutionnellement bilingue et recrute son personnel en conséquence. Tous ses actes et publications seront dans les 2 langues, tout comme son cours d'admission. Il y aura usage des 2 langues aux congrès annuel et autres réunions publiques. Le conseil du Barreau devra permettre l'usage du français à ses réunions dans 2 ans. Le Barreau devra demander à l'Association du Barreau canadien Section N-B d'offrir la formation permanente dans les 2 langues officielles sans quoi elle prendra en charge ce service elle-même.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Je ne peux malheureusement pas vous le dire précisément. Je sais cependant que Me Michel Doucet préparera cette année une analyse de la situation actuelle avec insistance sur le nombre de procès tenus en français et description des embûches qui continuent de nuire à la progression vers l'égalité dans ce domaine.
_______

Notes:

1. À l'heure actuelle, 6 des 9 juges de la Cour d'appel sont bilingues. Des 25 juges de la Cour du Banc de la Reine (autre que les surnuméraires) 10 sont bilingues. Des 26 juges de la Cour provinciale (autre que les surnuméraires) 11 sont bilingues.
2. Art. 22 et 23 de la LLO
3. Art 19 de la LLO
4. Voir la définition de « tribunal » dans la LLO qui comprend les tribunaux administratifs.
5. Art. 4 de la Loi sur le Barreau
6. La traduction simultanée est maintenant disponible lors des réunions du Conseil du Barreau et lors de la réunion annuelle.
7. La formation permanente est offerte dans les deux langues officielles, mais elle demeure insuffisante du côté francophone.
8. Nous travaillons cet été sur un formulaire qui sera distribué aux avocats et aux juges pour voir si la situation du français a évolué dans la pratique du droit au niveau provincial. Je souhaite pouvoir présenter les résultats préliminaires de cette étude lors de la rencontre annuelle de l'AJEFO en Louisiane l'an prochain.

Toutefois, une enquête préliminaire laisse planer l'hypothèse qu'il y a eu dans les dernières années un plafonnement en ce qui concerne l'utilisation du français dans la pratique du droit. Selon les sources interrogées, il semble que l'utilisation du français soit la norme dans les circonscriptions judiciaires de Bathurst et Edmundston, mais que, dans les autres circonscriptions, notamment Moncton, la proportion de procès en français ne dépasserait pas 10%. De même, on me dit qu'à peine 10% des dossiers entendus par la CANB sont plaidés en français et, ceci, même si le nombre d'avocats bilingues a plus que doublé depuis 1980. Nous allons chercher dans notre étude à comprendre quels sont les obstacles structurels ou autre à une plus grande intégration des langues officielles dans la pratique du droit.

En ce qui concerne la traduction des jugements, bien que toutes les décisions de la CANB soient traduites, c'est loin d'être le cas, en raison d'un manque de fonds, pour la Cour du Banc de la Reine et pour la Cour provinciale.
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  • Catégorie : Justice



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Modification : 2012-05-27